S’exercer à l’abolition, jour après jour

Sarah Lamble

Traduction par nos soins

L’abolition peut sembler une tâche gigantesque. Nous vivons dans un monde saturé par l’hypothèse que la police et les prisons sont nécessaires pour faire face aux problèmes généralisés de violence et de préjudices. Même parmi celles et ceux qui reconnaissent que la police et la prison ne nous protègent pas et perpétuent plutôt les inégalités, la violence et la souffrance, il peut être difficile d’imaginer la vie sans ces institutions (Davis, 2003).

Mais comme nous le rappelle Ruth Wilson Gilmore, penseuse et militante abolitionniste de premier plan, l’abolition ne consiste pas simplement à se débarrasser des prisons, de la police ou des systèmes de surveillance et de punition ; l’abo­lition concerne ce que nous construisons à la place. « L’abolition consiste à abolir les conditions dans lesquelles la prison est devenue la solution aux problèmes, plutôt que d’abolir les bâtiments que nous appelons prisons » (Gilmore et Murakawa, 2020). De même, nous ne pouvons pas simplement supprimer la police – nous devons nous pencher sur les conditions dans lesquelles les gens estiment que la police est la seule ou la meilleure option pour ré­pondre aux problèmes graves qu’ils rencontrent. Nous devons mettre en place d’autres moyens de prévention et de traitement des préjudices qui nous permettront réellement d’assurer notre sécurité.

Une partie de cette tâche consiste à ne pas traiter l’abolition comme un « événement » unique ou révolutionnaire, mais comme un processus et une pratique continues. L’abolition est un mode de vie et une approche collective du changement social. Elle exige que nous nous engagions dans des stratégies de démantèlement des structures, des institutions et des systèmes qui sous-tendent et soutiennent les prisons et la police tout en mettant en place des systèmes de soins, de bien-être et de soutien qui répondent aux besoins humains et permettent aux communautés de s’épanouir. L’abolition exige un double travail : s’engager dans ce que les abolitionnistes appellent des « réformes non réformistes »1 – des stratégies qui réduisent le pouvoir et la portée du système de justice pénale et diminuent notre dépendance à son égard – tout en renforçant simultanément nos compétences, nos capacités et nos ressources pour des systèmes alternatifs de prévention, de traitement et de réponse aux préjudices (Berger et al., 2017).

Un tel changement implique de pratiquer l’abolition au quotidien. L’abolition au quotidien est un moyen de relier les efforts que nous réalisons en faveur de changements structurels à nos cultures et pratiques quotidiennes. L’abolition au quotidien signifie défaire les normes culturelles et les mentalités qui nous enferment dans des habitudes et des logiques punitives. Il existe de nombreuses façons d’aborder cette question, mais nous ne présenterons ci-dessous que quatre stratégies clés.

Défaire les cultures carcérales

Le carcéral est partout. Regardez autour de vous et vous verrez des logiques punitives dans nos écoles, sur nos lieux de travail, dans nos services publics, dans nos familles et dans nos relations. Le carcéral est ancré dans les normes sociales et les institutions que nous habitons. Il est culturellement ancré dans notre conscience.

Par « carcéral », les abolitionnistes font référence aux logiques et aux pratiques qui normalisent les réponses punitives au préjudice. C’est la logique du « bon sens » qui assimile la justice à la punition. Lorsqu’un préjudice se produit, les logiques carcérales nous encouragent à localiser la cause du problème chez un individu (mauvais choix, mal inhérent, mauvaise éducation, carences culturelles, altérité monstrueuse, etc.), puis à isoler et à punir cet individu et souvent à stigmatiser la communauté dont il fait partie. Parfois, cela se fait ouvertement, par le biais de l’État et du système pénal, ou lorsque quelqu’un appelle les flics contre quelqu’un d’autre. Mais cela se fait également de manière plus subtile, au quotidien, d’une manière qui normalise les comportements vindicatifs ou punitifs, qui célèbre la violence rédemptrice. Ces logiques punitives s’infiltrent dans nos interactions quotidiennes au travail, à l’école, à la maison, dans nos quartiers et dans nos communautés d’organisation.

Voici quelques exemples. Un enfant « se conduit mal » en classe, alors nous l’excluons de la classe. On fait la gueule à notre amoureux·se quand il ou elle nous dit quelque chose de blessant. Un·e collègue de travail fait quelque chose que nous n’aimons pas, alors nous lui faisons honte publiquement devant les autres collègues. Un·e voisin·e vend de la drogue dans son appartement, alors nous le ou la signalons à la mairie, même s’il ou elle risque d’être expulsé·e et de se retrouver sans abri. Une organisation avec laquelle nous travaillons utilise un langage ou des stratégies que nous pensons être oppressantes, alors nous arrêtons simplement de travailler avec eux. Un·e prisonnièr·e a besoin d’une aide pour se loger au moment de sa libération, mais personne ne l’aide car il ou elle a été condamné pour violence sexuelle. Nous humilions ou dénigrons les gens sur les réseaux sociaux et nous encourageons les autres à les « cancel » lorsque nous n’aimons pas ce qu’ils disent. Nous faisons notre exercice moral quotidien en consommant des médias qui nous encouragent à diviser le monde en bons et mauvais, ceux et celles qui méritent de l’empathie et ceux et celles que nous diabolisons ou abandonnons.

Si la plupart de ces exemples ne sont pas directement des formes de maintien de l’ordre et de violence d’État, ils contribuent tous à une culture carcérale qui normalise la punition et l’isolement comme une réponse aux problèmes sociaux. Au lieu de s’attaquer directement à un problème ou de chercher à comprendre pourquoi il est apparu, nous sommes en­cou­ra­gés à réagir par le blâme, les représailles et la punition. Nous essayons de résoudre le problème en excluant la personne de notre communauté, en la marquant comme fondamentalement différente du reste de « nous » et en nous éloignant d’elle. Ces schémas jouent souvent sur les lignes de classe, de race et de handicap. Par exemple, les enfants qui risquent le plus d’être exclus de l’école sont ceux qui sont racisés, issus de milieux défavorisés ou qui ont des difficultés d’apprentissage (Graham et al., 2019). Au lieu de nous demander pourquoi le système éducatif ne répond pas à leurs besoins ou ce qui leur arrive, nous considérons ces enfants comme des « problèmes » et nous les isolons.

Une tâche essentielle pour l’abolition quotidienne est d’identifier et de contester les logiques carcérales qui s’insinuent dans nos pratiques quotidiennes. Ce n’est pas toujours facile. La ligne de démarcation entre fixer des limites légitimes et punir et isoler les autres n’est pas toujours simple. Plus important encore, aucun d’entre nous n’est à l’abri des normes culturelles plus larges qui assimilent constamment la justice à la punition. Ces récits sont profondément ancrés et intériorisés et il faut travailler pour les identifier et les démêler – en particulier si nous nous sentons émotionnellement investis dans des réponses punitives ou de représailles. La punition peut nous séduire sur le moment, mais elle génère rarement la résolution, la guérison ou le changement à long terme que nous recherchons en fin de compte.

Les abolitionnistes soutiennent que si nous ne remettons pas en question ces logiques et pratiques carcérales au niveau quotidien, il est difficile de les remettre en question au niveau institutionnel. Il est facile d’être un abolitionniste en théorie. La mettre en pratique exige un effort et une réflexion permanentes. C’est pourquoi l’abolition au quotidien doit être un effort collectif pour lutter contre l’individualisation des problèmes sociaux.

Cela ne signifie pas que nous ne devons pas remettre en cause les comportements nuisibles ou tenir certaines personnes pour responsables. Cela signifie que nous devons réagir avec des stratégies qui ne visent pas à aggraver les dommages par des punitions individuelles.

Changer nos réactions quotidiennes face aux torts et aux souffrances

Lorsqu’une personne fait du mal à une autre, il existe souvent deux tendances principales. La première est de nier ou de minimiser (dire que cela ne s’est pas produit, ou que cela n’a pas d’importance, ou que ce n’était pas aussi grave qu’il n’y paraît). La seconde est de blâmer, de diaboliser et de se venger (la personne qui fait du mal est terrible et devrait être punie ou séparée de la communauté) (CUAV, 2013).

La première tendance est courante lorsque nous avons un lien avec l’auteur des faits ; la seconde tendance est courante lorsque nous sommes proches de la personne qui a subi le tort. Mais aucune de ces stratégies n’est efficace car elles ne tiennent pas compte de l’effet du préjudice. Les réponses n’abordent pas non plus la raison pour laquelle celui-ci s’est produit en premier lieu, ou ce qui peut être fait pour l’empêcher de se produire à l’avenir. Offrir un soutien, une sécurité et une guérison est important autant pour les personnes qui ont subi le préjudice que pour celles qui l’ont commis. Ce soutien doit être axé sur les besoins spécifiques et immédiats des personnes touchées et que la situation exige, tout en envisageant la manière de traiter les raisons plus larges qui ont conduit au préjudice. Il est également important de reconnaître que le préjudice est un problème collectif (avec des conséquences collectives) et qu’il nécessite donc des solutions collectives. Les dommages causés par un individu se produisent rarement de manière totalement isolée. Le comportement et les conditions qui ont conduit au préjudice sont souvent normalisées, tolérées, ignorées, rendues possibles ou même soutenues par d’autres. C’est notamment le cas de la violence interpersonnelle et des agressions sexuelles commises pendant l’enfance (GenerationFive, 2017 ; Simmons, 2019a).

Au lieu de répondre au mal par la punition, nous devons mettre en place des infrastructures de soutien et de soins – sur le plan culturel, institutionnel et dans notre vie quotidienne. Cela est souvent plus facile en théorie qu’en pratique, en particulier lorsqu’un préjudice est causé à une personne que nous aimons ou est infligé par une personne que nous n’aimons pas ; il peut être facile de tomber dans des logiques et des pratiques punitives. Mais même lorsque le mal est causé par des personnes que nous désapprouvons ou par des personnes qui agissent de façon répétée et nuisible, nous devons nous demander pourquoi ces dommages se produisent et répondre aux besoins de toutes les personnes concernées. Nous devons examiner le contexte plus large et non pas seulement l’individu.

La logique carcérale nous enseigne qu’il y a des bonnes et des mauvaises personnes, des victimes et des auteur·rices, des innocent·es et des coupables. On nous apprend à considérer les personnes comme étant soit l’une, soit l’autre. Mais la réalité est beaucoup plus complexe. De nombreuses personnes qui font du mal aux autres ont également subi un préjudice. Le fait d’avoir subi un préjudice ne vous empêche pas de faire du mal aux autres. Il suffit de regarder la démographie des personnes qui sont enfermées en prison. Il est clair que les populations les plus désavantagées socialement et les plus discriminées finissent en prison. Cela ne veut pas dire que les personnes en prison n’ont pas eu de comportement nuisible ou que nous devons recourir à des arguments d’« innocence » pour contester les injustices de l’emprisonnement. Nous devons plutôt être en mesure de tenir compte du fait que les gens peuvent à la fois faire du mal et être lésés. Nous devons reconnaître que les gens peuvent faire des choses terribles mais qu’ils ont toujours besoin de soutien et de soins. Nous devons adopter une politique du « personne n’est jetable » (Gossett et al., 2014).

Une partie de notre tâche consiste à mieux comprendre et à interrompre les schémas où la souffrance engendre une souffrance supplémentaire. Par exemple, certaines personnes réagissent parfois à un traumatisme en s’acharnant sur les autres et en les blessant. Ou encore, quand d’autres exercent un pouvoir et abusent des autres en fonction de leur propre sentiment d’impuissance ou de vulnérabilité. Cela ne signifie en rien que nous devons excuser ou tolérer les actes abusifs, mais plutôt que si nous voulons nous attaquer à ce comportement, il est peu probable que l’augmentation de la vulnérabilité d’une personne qui fait du mal par l’isolement, la honte ou la punition fonctionne.

Trouver des réponses alternatives à la punition est particulièrement difficile lorsqu’il s’agit de violences sexuelles. Les partisan·es des principes abolitionnistes envisagent parfois ce genre de situations sous le régime de l’exception. On peut avoir tendance à supposer que les personnes qui commettent des violences sexuelles sont en quelque sorte différentes ou irrécupérables. Mais comme l’ont depuis longtemps soutenu les abolitionnistes féministes, les violences sexuelles et sexistes sont si répandues et si omniprésentes qu’elles doivent être au centre de nos réponses abolitionnistes. L’ « exceptionnalisme sexuel » ne nous permettra pas de l’aborder de manière significative. La réalité est que la plupart des violences sexuelles ne sont pas commises par des étrangèr·es, mais par des personnes que nous connaissons et que souvent nous aimons. C’est en partie pourquoi il peut être si difficile d’y répondre (Creative Interventions, 2019). Les partisan.e.s de la justice transformatrice affirment qu’au lieu de répondre au mal par des sanctions, nous devons adopter des formes de « responsabilité centrée sur l’amour » ou de « responsabilité par compassion » (Moss, 2019)2. Cela signifie qu’il faut trouver des moyens de se soutenir mutuellement lorsque nous ou d’autres ont fait des choses préjudiciables. Cela signifie qu’il faut se concentrer sur la réduction des dommages et les empêcher de se reproduire (Dixon et Piepzna-Samarasinha, 2020).

Renforcer nos compétences et nos capacités collectives pour prévenir les dommages et favoriser la responsabilité et la réparation au quotidien.

Si nous sommes en mesure former des personnes aux premiers secours et à la réanimation d’urgence, nous pouvons également apprendre à intervenir de façon sûre lorsqu’on rencontre une situation conflictuelle, la désescalade de la violence, la réso­lution des conflits et la réduction des dommages. Nous pouvons apprendre à identifier les premiers signes de relations violentes et nous soutenir mutuellement pour intervenir avant que la situation ne s’aggrave. Nous pouvons trouver des moyens de nous soutenir mutuellement pour guérir de nos propres traumatismes et des traumatismes collectifs. Une partie de ce travail consiste à identifier les nombreuses façons dont nous pouvons déjà réagir aux préjudices et dont nous le faisons sans avoir recours à la police, aux punitions et aux représailles.

Comme le reconnaît le Creative Interventions Project (2019), notre entourage immédiat (qu’il s’agisse de la famille, des ami·es, des voisin·es, des collègues de travail et même des connaissances) est souvent bien mieux placé pour intervenir et répondre aux préjudices quotidiens que le système de justice pénale officiel. Nous devons donc tou·tes acquérir les compétences nécessaires pour nous sentir capables et confiant·es d’intervenir. Nous ne devons pas supposer que seul·es les professionnel·les peuvent agir pour lutter contre la violence. Des groupes comme Hollaback, enseignent des moyens d’intervenir, dans la rue et de façon sereine, en cas de harcèlement sexuel.

Il nous faut également envisager la responsabilisation comme une pratique quotidienne et une compétence que nous devons tous encourager, plutôt que comme quelque chose d’exceptionnel ou à déléguer à d’autres. Comme le décrit Ann Russo, autrice du livre Feminist Accountability (2018) : « Si on rendait des comptes plus régulièrement quant aux souffrances qu’on occasionne plutôt que cela ne soit uniquement une exigence que nous imposons aux autres dans les situations choquantes, cette pratique générerait moins de culpabilité, de honte, d’attitude défensive, de punition et de représailles. Cela favoriserait plus de compassion les un·es pour les autres lorsque nous commettons des erreurs, lorsque nous parlons et agissons de manière nuisible et oppressive (intentionnellement ou non), et/ou lorsque nous générons de la souffrance d’une manière ou d’une autre. Et il serait plus facile d’admettre ses méfaits. » (Russo, 2013).

Une partie de ce changement consiste à reconnaître activement que nous pouvons être nous-mêmes auteur·rices de dom­mages ou faciliter leur survenue. Trop souvent, nous nous efforçons de nous aligner sur les justes et les innocent·es, de prendre nos distances par rapport aux coupables et à ceux et celles qui font du mal. L’abolition au jour le jour nous oblige à reconnaître que nous sommes tou·tes capables de nuire, tout comme nous sommes tou·tes vulnérables. Cela ne signifie pas que la répartition de la souffrance est égale. Nous savons que le mal et la violence sont profondément liés à des structures de pouvoir qui rendent certains corps plus vulnérables que d’autres. Mais nous devons comprendre notre rôle dans la mise en place ou le maintien des structures de pouvoir qui produisent la violence et ont un effet sur la répartition des chances dans la vie.

Confronter notre complicité avec la violence peut être douloureux, mais il est crucial de le faire pour mettre fin aux pré­judices, en particulier lorsqu’il s’agit de violence au sein de nos foyers, nos familles et nos institutions sociales. L’un des aspects les plus douloureux de l’acceptation de l’omni­présence des agressions sexuelles perpétrées sur les enfants, par exemple, peut être de reconnaître à quel point d’autres personnes étaient au courant et n’ont pas agi. Ou que les gens n’ont pas écouté ou n’ont pas cru les survivant·es lorsqu’ils et elles ont fait des révélations courageuses (Moss, 2019 ; Simmons, 2019b). Parfois, nous refusons de voir ou de croire ce qui est sous nos yeux. Sou­vent, nous ne reconnaissons pas notre propre comportement nuisible et nous refusons de rendre des comptes. Comme le note Russo (2013), « il y a peu d’espaces pour parler des préjudices que nous avons causés et des systèmes d’oppression dont nous avons été complices. La plupart du temps, il semble que lorsqu’on nous demande d’y faire face, nous cherchons à montrer que nous ne sommes pas responsables, nous essayons de prouver notre « innocence ». Ou nous essayons de blâmer les autres, ou de prétendre que nous sommes les véritables victimes. »

Nous pouvons tous intégrer la responsabilisation dans notre pratique quotidienne de l’abolition. Comme le note Kai Cheng Thom (2020) : « Lorsque nous sommes capables d’admettre que la capacité de nuire se trouve en nous-mêmes – en nous tous – nous devenons capables de transformer radicalement notre vision de la culture du viol et de la maltraitance. Nous pouvons passer de la simple réaction aux abus et de la punition des « agresseurs » à la prévention des abus et à la guérison de nos communautés. Car, comme on dit, la révolution commence chez soi. La révolution commence dans votre maison, dans vos propres relations, dans votre chambre à coucher. La révolution commence dans votre cœur. »

Il existe de nombreuses organisations de base qui font un travail important pour remettre en question les logiques carcérales quotidiennes et pour renforcer les capacités collectives de soutien, de guérison et de responsabilité. Nombre de ces projets ont mis au point des outils et des ressources simples qui peuvent nous aider à étendre les compétences que nous possédons déjà et à les canaliser dans le travail quotidien de réduction des risques et de prévention de la violence3.

Nous disposons déjà de nombreux outils et ressources nécessaires pour mettre fin à la violence – en particulier dans les communautés où appeler les flics n’a jamais été une option en raison des menaces de violence ou d’expulsion qu’ils repré­sentent – où des alternatives ont été nécessaires pour survivre (Dixon et Piepzna-Samarasinha, 2020 ; Amezcua et al., 2016 ; Rose, 2018 ; Kaba, 2020). Mais nous devons également en développer d’autres, en particulier pour les survivant·es d’actes violents. Comme le note Darnelle L. Moore, dans Love with Accountability : Digging up the Roots of Childhood Sexual Abuse, « les outils dont beaucoup de personnes ont besoin pour guérir n’ont pas encore été imaginés et créés » (2019).

Ce travail nécessite une pratique continue. Nous ne pouvons pas assister à une seule séance de formation ou lire un seul article sur le sujet et savoir ensuite comment réagir ou remédier à chaque situation. Comme le fait remarquer Ejeris Dixon, défenseuse de la justice transformatrice et militante de la lutte contre la violence (2020) : « Nous devons pratiquer la sécurité communautaire comme nous le ferions pour un instrument ou un sport. En nous exerçant de manière lente, mesurable et délibérée, nous acquérons les connaissances dont nous avons besoin pour diffuser et traiter les conflits au sein de nos communautés ».

Relier le quotidien à la vision d’ensemble

Aucune de ces pratiques quotidiennes ne suffira si nous ne les relions pas à des objectifs de longs termes plus globaux.

Comme nous le rappelle le groupe anti-violence LGBTQ Community United Against Violence (CUAV 2019), la violence existe au niveau interne (en nous-mêmes), interpersonnel (entre les personnes) et institutionnel (entre les institutions et les individus). Le travail de lutte contre la violence doit se faire à ces trois niveaux. Nous devons relier le micro et le macro afin que nos efforts quotidiens contribuent au changement social, systémique et institutionnel plus large qui rendra possible un monde sans prisons et sans police.

Cela signifie que nous devons examiner comment les tactiques que nous mettons en œuvre aujourd’hui auront un impact sur les stratégies à moyen et long terme pour l’avenir. Nous ne voulons pas mettre en œuvre des stratégies aujourd’hui que nous devrons défaire plus tard. Nous devons démanteler et transformer les institutions et les structures qui normalisent les prisons, la police et les sanctions. Cela signifie qu’il faut soutenir les campagnes visant à stopper l’expansion des prisons, à réorienter les budgets de la police et à réduire la taille du système de justice pénale. Cela signifie également s’organiser en faveur du logement, des soins de santé, de la justice raciale et économique, de l’urgence climatique et de l’accès à l’eau potable, de la justice pour les personnes handicapées, des droits du travail, de la justice reproductive, des luttes décoloniales et des campagnes plus larges de justice sociale – tout cela fait partie du travail abolitionniste.

Si l’abolition peut parfois sembler décourageante, il est important de garder à l’esprit que beaucoup de travail et d’efforts collectifs sont déjà faits pour rendre possible un avenir abolitionniste. Il est essentiel de s’associer à ce travail existant et de s’en inspirer pour développer un changement social durable et collectif. Nous devons faire le travail de rassembler les différentes luttes qui comprennent les nombreuses facettes du travail abolitionniste. Nous pouvons prendre notre courage à deux mains et nous inspirer de la créativité, de la collectivité et de la détermination que l’on trouve à la fois dans les efforts quotidiens et dans les luttes pour l’abolition qui ont lieu dans le monde entier. Ce sont ces efforts abolitionnistes joints bout à bout qui nous permettent de faire le travail ici et maintenant, et de nous rapprocher du monde que nous voulons pour l’avenir.

REFERENCES

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Kaba M (2020) Transform Harm Resource Hub. Available at: https://transformharm.org/ (accessed 1 May 2020).

Moore DL (2019) Love Is a Reckoning. In: Simmons AS (ed) Love WITH Accountability: Digging Up the Roots of Child Sexual Abuse. Chico, CA: AK Press, pp.3-5.

Moss DR (2019) Love-Centred Accountability. In: Simmons AS (ed) Love WITH Accountability: Digging Up the Roots of Child Sexual Abuse. Chico, CA: AK Press, pp.97-100.

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1Comme le décrivent Berger, Kaba et Stein, les réformes non réformistes sont « des mesures qui réduisent le pouvoir d’un système oppressif tout en mettant en lumière l’incapacité du système à résoudre les crises qu’il crée ». Pour un exemple concernant le maintien de l’ordre, voir Critical Resistance (2020) Reformist reforms vs. abolitionist steps in policing [Abolitionist Reforms Chart]. Disponible à l’adresse suivante : http://criticalresistance.org/abolish-policing/ (consulté le 1er mai 2020).

2Pour une définition de la justice transformatrice, voir : Bay Area Transformative Justice Collective (2013) Transformative Justice and Community Accountability. Disponible à l’adresse : https://batjc.files.wordpress.com/2014/06/tj-ca-one-pager.pdf

3Voir par exemple le travail effectué par des groupes tels que Creative Interventions ; Generation Five ; INCITE : Women of Colour Against Violence ; Project NIA, Bay Area Transformative Justice Collective ; Sex Workers Advocacy and Resistance Movement ; DIY Space for London, Transformative Justice Kollectiv – Berlin et le centre de ressources TransformHarm.org.